À l’enseigne de l’égalité

Dans le cadre du Salon du livre du Grand Sudbury, taGueule parrainera une table ronde sur l’absence du français dans la place publique le samedi 12 mai 2012 à 15 h. Ce n’est pas d’hier qu’on en discute : le 25 octobre 1999, Normand Renaud livrait ce billet en réaction à la nouvelle qu’une cour du Québec avait jugé inconstitutionnelle une section de la loi québécoise qui exige la prédominance du français dans l’affichage commercial. Curieusement, ça lui a fait penser au hockey.


Imaginez un tournoi de hockey entre deux équipes très inégales, non pas à cause de leur talent, mais à cause du règlement. Dans le tournoi que j’imagine, une équipe a droit à trente joueurs, et l’autre, à trois. Que voulez-vous, c’est la règle du jeu. La saison commence et l’inévitable arrive. Malgré les efforts héroïques des minoritaires, l’équipe favorisée mène bientôt au classement avec 909 victoires et 2 défaites. Mais le jeu est juste, car on en suit le règlement.

Tout ça dure longtemps, mais ne fait qu’un temps. À la longue, la grosse équipe trouve le jeu aussi injuste que la petite. À force de réduire ses adversaires en purée, on se beurre de purée soi-même. Ça, ça s’appelle la mauvaise conscience. On en perd jusqu’au goût de gagner.

Ce n’est qu’après tout ça qu’un beau jour, les maîtres du jeu décideront de changer la règle. C’est dur à admettre, mais ils l’admettent : leur règle est déréglée, leur justice est injuste, leur gloire est une honte. Ils proclament donc une nouvelle règle révolutionnaire : le jeu à forces égales. Mais s’ils changent la règle, ils se gardent bien de changer le compte des points. Les meneurs auront toujours droit à l’avance qu’ils ont gagné fair and square sous l’ancienne règle. Et que le jeu continue !

Ce qui paraît absurde en parlant du hockey ne l’est pas du tout en parlant de la société. À la fin du 20e siècle, le Canada est encore pour beaucoup le pays que son passé de privilèges britanniques a façonné. Ce n’est pas par accident que le Canada est aujourd’hui un pays anglais et que les Canadiens-Français, majoritaires au départ, sont minoritaires à l’échelle du pays et dans toutes les provinces sauf une. Ce n’est pas par accident que le principe qui a affirmé l’égalité des deux langues officielles a aussitôt infirmé les efforts faits au Québec pour effacer les acquis du nationalisme britannique d’hier. Si la majorité a changé les règles du jeu politique, ce n’était pas pour y perdre aux éliminatoires. Alors que l’affichage commercial en français est absent partout au Canada, les lois qui le favorisent dans la seule province où il existe sont combattues. La loi du Québec sur l’affichage en français passe pour un affront à la règle suprême, généreuse et moderne de la société canadienne : l’égalité des deux langues officielles. Elle mérite l’intervention de l’arbitre judiciaire et des punitions majeures pour rudesse.

Mais si le Canada veut vraiment la justice à l’avenir, il lui faut corriger l’injustice du passé. C’est ce que le Québec essaie de faire. C’est ce que le reste du Canada pourrait faire à sa manière. Les grandes villes bilingues du pays, Ottawa-Carleton et Sudbury en tête, pourraient se donner des politiques pour promouvoir l’affichage commercial en français. Étant donné qu’elles voudraient l’égalité de droit pour la minorité anglo-québécoise, ces villes pourraient exiger l’égalité de fait pour leur propre minorité franco-ontarienne. Elles pourraient combattre l’entorse à la règle de l’égalité, quand c’est l’indifférence du peuple et non la loi du peuple qui l’impose. Ce serait une manière de ramener à sa destinée bilingue un pays que le jeu du privilège britannique a si longtemps dévoyé.

Si le Québec agace tellement l’opinion canadienne, ce n’est pas parce qu’il maltraite sa minorité. C’est parce qu’il exerce à son tour et à son compte le plus arrogant des privilèges en politique : celui de fixer les règles du jeu. On a beau dire autrement, en matière d’affichage commercial, le principe canadien de la liberté est au service du privilège universel qu’est la loi du plus fort. Le Québec n’accepte pas de jouer ce jeu-là. Sa politique sur l’affichage loge à l’enseigne de l’égalité. C’est une enseigne française.

Trop, c’est comme pas assez

Je suis une hybride, une métisse à la peau blanche.

Je suis, pour paraphraser une chanson de Jean Leloup, une fille d’Ottawa, grandi à Ste-Catherine, d’une mère franco-ontarienne et d’un père du bas de Lachine.

Trop québécoise pour les Canadians, trop ontarienne pour les Québécois, je suis entre deux chaises. Parfaitement bilingue, j’ai appris à parler l’anglais quand j’ai commencé à parler. Je suis donc trop anglaise pour les français, et trop française pour les anglais. Pas assez ontaroise, pas assez québécoise.

Je ne suis pas une vraie Québécoise selon les uns, je ne suis pas une vraie Canadienne selon les autres. Je suis une expatriée dans mon propre pays. Pourtant, sur papier, je suis la Canadienne modèle. Je suis le wet dream de Pierre Elliott Trudeau.

J’ai lu quelque part qu’on ne pouvait pas ne pas être indépendantiste si on connaissait bien son Histoire. Eh bien! Je connais mon Histoire sur le bout des doigts. Et parce que je connais mon Histoire, je ne suis pas souverainiste, ne le serai jamais. Être souverainiste, ce serait renier le pays de mes ancêtres, eux qui l’ont bâti, l’ont porté à bout de bras et me l’ont légué. Ce serait trahir leur mémoire. Être souverainiste, ce serait pour moi la même chose que déshériter mes enfants, les priver de leur bien le plus précieux. Ce serait écraser leur avenir. Être souverainiste, ce serait aussi renier une partie de moi-même, de mon identité.

Je crois au Canada, même si je ne crois pas au Canada ultra-militariste et born again de Stephen Harper. Les premiers ministres, les gouvernements, sont toujours remplacés, un jour ou l’autre. En attendant ce jour, je continue à bâtir ce pays, pour le léguer à mon tour à mes enfants.

N’en déplaise à ceux qui trouvent que je suis trop ceci, ou pas assez cela, je ne suis pas une french frog. Je ne suis pas une dead duck. Je ne suis pas une vendue, ni une colonisée. Je suis canadienne-française, et je le dis avec fierté.

S’aventurer dans la cour arrière de Patrick Watson

Patrick Watson
Adventures In Your Own Backyard
Secret City Records/Domino Records

Si taGueule publie une critique d’un album complètement en anglais, il faut que ce soit un maudit bon album. Eh bien, voici qu’arrive le tout nouvel album du montréalais Patrick Watson, Adventures In Your Own Backyard.

Après une nomination au prix Polaris pour chacun de ses deux plus récents albums (et une victoire d’ailleurs!), la barre était haute pour celui-ci et Watson ne déçoit pas une miette. Pour ce quatrième album, Patrick et sa formation ont enregistré l’album dans leur salle de répétition, d’où vient l’inspiration du titre de l’album. Comparé à Wooden Arms, son dernier album, Adventures In Your Own Backyard est un album moins éclectique, plutôt simple, mais toujours émouvant d’un bout à l’autre. C’est plus terre-à-terre et beaucoup plus axé sur les paroles et le chant.

L’album reprend le style pop/alternatif/folk/cinéma des dernières oeuvres de le formation. De la première piste, Lighthouse, avec son piano somptueux et une fin digne des meilleurs moments de splendeur, jusqu’aux dernières sombres notes de l’instrumental épilogue, Swimming Pools, l’album crée une atmosphère qui éclabousse en toute douceur. Il n’y a pas de chansons cheese, accrochantes ou emmerdeuses. Il n’y a que des simples mélodies permutées par la voix falsetto du chanteur, par des sons de trompettes et par des ambiances parfaitement placées. Les paroles de l’album racontent les ballades autour du voisinage, la campagne, l’amitié; l’album est quasiment un hommage à la vie chez lui au Québec. On dirait un miroir littéraire de The Suburbs d’Arcade Fire.

Patrick Watson célébra ce soir le lancement canadien de son album avec un troisième et dernier spectacle à guichet fermé au Théâtre Corona de Montréal. Pour le Canada et l’Europe continentale, un des albums les plus anticipés de l’année est finalement arrivée. L’album sortira le 20 avril en Allemagne et au Royaume-Uni, le 30 avril ailleurs sur la planète sauf aux États-Unis où ils devront attendre au 1er mai, un 24 heures de plus.

[h3]Pour les fans de[/h3]
Radiohead, Karkwa, Arcade Fire, The Cinematic Orchestra, Jimmy Hunt, City and Colour

[h3]Moments forts[/h3]
Lighthouse, The Quiet Crowd, Into Giants, Noisy Sunday

Canailles: Manger du bois

Le premier album de Canailles est un vrai cirque, un travelling freakshow avec la galerie de monstres pis toutte le kit. Imagine un groupe zydeco-bluegrass du fond d’un bayou qui tombe dans un dumpster du Plateau Mont-Royal. Ajoute Bernard Adamus à l’harmonica pis c’est dans l’sac. À coups de planche à laver et d’accordéon, de mandoline et de banjo, ces bâtardes ont réussi d’un sacré coup à immortaliser l’énergie carnavalesque de leur show sur bobine et ça goutte la bonne vieille gueule de bois.

L’ambiance est autant à la fête (R’tourne de bord) qu’à la peine (Muraille de Chine), autant cabaret (J’l’haïs) que trailer trash (Dans mon litte). Une chose est sure: Canailles rassemble… t’es drette là dans ‘marde avec eux.

En party, lors d’un dance-off entre Canailles et Daft Punk, je ne suis vraiment pas sûr qui gagnerait. L’autotune n’a rien sur ces voix qui faussent parfaitement et le yodeling pourrait tromper les gros synthés, finalement.

Je suis cette gang de mouffettes depuis longtemps. Leur EP, sorti en septembre 2010, est devenu un de mes albums fétiches et je n’ai jamais raté l’occasion de les voir en shows. Elles m’ont accompagné dans des moments de délire à la Townehouse à Sudbury, au festival Rivers & Sky sous un ciel étoilé avec une bouteille de Jameson trop vide et dans le vieux Noranda au Diable rond pendant le Festival de musique émergente… La gang de Canailles. Des vraies de vraies. Sales. Puantes. Pleines d’échardes.

Pogne-toi une p’tite cannisse de Febreeze, pèse play et tiens-toi bien!

Pour les fans de

Mara Tremblay, Bernard Adamus, Lisa LeBlanc, Québec Redneck Bluegrass Project, Tom Waits, Petunia, Lake of Stew

Motel Califorña: Qualité Motel

Les 5 membres de Misteur Valaire ont lancé officiellement hier Motel Califorña, le premier album de Qualité Motel, leur projet parallèle 100% électro. Cet album hyperactif et spontané goûte la limonade et sent la crème solaire!

Au courant des dernières années Qualité Motel s’est forgé un nom sur la scène musicale en faisant des DJ sets lors d’after party et de soirée dansante impromptue (Pop Montréal cette année, dans le métro à la station Place des arts, en aft’heure party des Cowboys Fringants à Sudbury en 2010). Et là, finalement, un album!

Munis de vieux synthés cheaps et de boîtes à gros rythmes comme on les aime, les cinq geeks de Qualité Motel se font un plaisir fou à nous livrer un album pop exutoire sans prétention et submergé d’ironie. Tant bowiesque (Grand farceur) que LMFAO-esque (Arabesque et indécence), nos tympans font face à une armée de collaborateurs. Ceux qui s’ennuyaient de La Patère rose seront enchantés d’entendre Fanny Bloom ouvrir l’album avec la pièce Full of CrimesYann Perreau et la nunavikienne Élisapie Isaac font un surprenant duo sur En selle, Gretel. Un vrai petit bijou. En écoutant l’album, on a des fois l’impression que QM se moque carrément de la musique pop (Le Qualité Motel). On l’apprécie beaucoup. Et comme ultime climax à leurs folies, la pièce Honey Cruller met de l’avant Mitsou qui chante au sujet de Thérèse, une grosse franglo-ontarienne serveuse au Tim Hortons avec un dragon tattoo qui découvre la vie grâce à une soirée de danse. Je pourrais facilement être en crisse de voir l’Ontario immortalisé d’une façon pareille, mais non, c’est fuckin’ pissant.

Parmi les autres voix, nommons SocalledStefie ShockGrand Analog (Winnipeg, Toronto), Pintandwefall (Helsinki, Finlande), James Di SalvioMrs. Paintbrush (Pittsburgh), Karim OuelletCaracolBéni BBQAmélie Glenn et Usetowork. C’est le plaisir.

 «Notre rapport à la pop a beaucoup changé depuis nos débuts, remarque Jules. À l’époque de Mr. Brian [premier album de MV], on était anti-pop, mais le problème, c’est qu’on n’en écoutait pas. Aujourd’hui, sans forcément se taper le dernier Britney en boucle, on peut s’inspirer de l’efficacité d’un hit de Madonna.»

– Luis Clavis, lors d’une entrevue accordée au Voir

Les die-hard fans de Misteur Valaire risquent d’être un peu déçus. Motel Califorña n’est pas la bombe à stimulation de coco qu’était Friterday Night ou Golden Bombay. Ce side-project est une spitoune d’électropop avec de sublimes collaborations bien senties, mais n’est pas à la hauteur du calibre auquel nous a habitué Misteur Valaire.

Pour les fans de

Dance Mix ’95, Misteur Valaire, Duchess Says, LMFAO, Les Rita Mitsouko, La Patère rose, les paparmanes roses

Dans une galaxie près de chez vous…

AVEC PAS D’CASQUE
Astronomie
Grosse Boîte

Au lieu de simplement rafistoler le folk joliment déglingué de ses deux premiers albums, dont l’excellent Dans la nature jusqu’au cou en 2009, le groupe montréalais Avec pas d’casque a choisi d’ajouter des sonorités plus atmosphériques, voire cosmiques. Défoncer le toit de la shed plutôt que bêtement la repeindre. Du coup, on en voit mieux les étoiles.

Ces étoiles, on les doit à l’arrivée du trompettiste baryton Mathieu Charbonneau (Torngat, The Luyas) et de Mark Lawson (Arcade Fire, etc.) à la console. Ils ont su planter un décor nocturne qui convient parfaitement aux textes du cinéaste Stéphane Lafleur (Continental, un film sans fusil, En terrain connus, le montage de Monsieur Lazhar), toujours aussi étonnant avec sa poésie de bout de ficelle, ces images gossées à même un quotidien à la fois tendre et désarmant :

Ton corps trempé dans la paillette
Ma tête de boule miroir
T’es un gala à toi toute seule
Je garde le vestiaire
(Les oiseaux faussent aussi)

Nous ferons des concours de lumière
De blessures en ordre croissant
Tu voudras que je préfère
J’haïrai évidemment
Mais je veillerai le feu avec toi

Veiller le feu

Qu’il s’agisse d’Apprivoiser les avions, de Veiller le feu ou de La journée qui s’en vient est flambant neuve, les mots et les images nous traversent le corps pour nous laisser émerveillés, mais aussi curieusement apaisés, preuve que le groupe a su dépasser la simple enfilade de métaphores chocs au profit d’un univers somptueux, cohérent. Alors qu’on écoutait les précédents albums d’Avec pas d’casque à la recherche de la jolie phrase à épingler sur son frigo, Astronomie nous invite plutôt à nous étendre au sol, les yeux plantés au ciel. Jamais l’idée d’accorder des «étoiles» à un disque n’aura été plus appropriée.

Harper, père du Québec

Dans une cinquantaine d’années, le Québec célébrera peut-être ses 20 ou 25 ans d’indépendance. Pour l’occasion, on honorera les héros, René Lévesque, Jacques Parizeau et les autres qui sont encore inconnus mais qui, à force d’idéalisme trompeur, auront convaincu les Québécois de voter «oui». Mais je vous gage un ver de terre – dans 50 ans, c’est tout ce que j’aurai sous la main – que personne ne mentionnera celui qui aura fait le plus pour l’indépendance du Québec, Stephen Harper.

C’est Justin Trudeau qui le premier aura eu le courage de dire publiquement ce que plusieurs d’entre nous craignent. Harper est en train de faire du Canada un pays où même les plus ardents fédéralistes (québécois ou pas) ne se reconnaissent plus. Au diable l’entraide, les traditions, l’environnement, les droits des femmes, le respect du français, la Charte des droits, les Francos hors Québec. Les con-serviteurs de Harper n’aiment probablement même pas le sirop d’érable.

Tout ce qui compte pour ces disciples de l’école de Calgary ce sont les profits des banques et des pétrolières, la loi et l’ordre, le contrôle des citoyens, les médias serviles. Et tout ça sous l’oeil du même dieu mesquin adoré par la droite américaine et célébré ici dans de petites chapelles en plein Parlement. Peut-on être plus loin des valeurs québécoises et canadiennes-françaises?

Que ce soit le projet omnibus contre le crime qui favorise la prison plutôt que la réhabilitation, l’abolition du registre des armes à feu, le refus de financer des organismes caritatifs qui incluent la contraception et l’avortement dans les soins prodigués aux femmes du Tiers-Monde; que ce soit la nomination d’un vérificateur général incapable de répondre aux questions des députés francophones, l’installation d’un juge unilingue à la Cour Suprême, le retour du qualificatif «royal» dans la marine et l’aviation militaire canadiennes, le remplacement d’une toile du grand peintre canadien Alfred Pellan par un portrait de Her Majesty, il est clair que ce gouvernement se crisse des Canadiens français.

Dans le Québec social démocrate et nationaliste – même les fédéralistes se croient une nation – les indépendantistes n’ont pas été long à identifier cette brèche et à s’y engouffrer. Depuis quelques mois, la leader du PQ, Pauline Marois, ne fait plus campagne contre le Premier ministre du Québec, Jean Charest, mais plutôt contre le gouvernement Harper. Elle et ses stratèges ont compris que Harper est leur plus grand allié. À force de démontrer comment ce gouvernement est loin des valeurs québécoises – et, on l’a vu plus haut, la job n’est pas dure – ils assimilent Harper à Ottawa. Ottawa, donc le fédéralisme, devient ainsi l’empêcheur de danser en rond, la source de tous les malheurs des Québécois. Il suffit de marteler ce message simple assez longtemps et la flamme indépendantiste s’embrasera.

Afin d’éviter la catastrophe, il faudrait que Harper change mais je ne vois malheureusement pas pourquoi ce démagogue ferait ainsi; il n’a pas l’étoffe d’un homme d’État. Tout se jouera dans les prochaines années et il devient de plus en plus possible que, dans cinquante ans, le Québec et le Canada soient à couteaux tirés et définitivement dans la merde. Comme disait la Vierge de Fatima, «Pauvre Canada».


Image: Emperor Haute Couture, par Margaret Sutherland, 2011

Nous sommes solidaires avec les étudiants en grève

C’est aujourd’hui qu’a lieu la plus importante manifestation à date contre la hausse des frais de scolarité au Québec. taGueule en profite pour déclarer sa solidarité envers ceux qui ont décidé de défendre les choix de société du Québec.

Avec taGueule, on est assez explicite dans notre recherche d’une certaine objectivité pour la plateforme. Mais lorsqu’on se retrouve face à un mélange dangereux de répression économique, de rhétorique condescendante et de brutalité policière, on se permet de prendre position.

Les actions du gouvernement du Québec n’ont rien d’exceptionnel; elles s’inscrivent dans la réalité de notre époque, cette époque où des escrocs font tomber les banques, où on fraude des élections à coup de téléphone, et où on cherche à couper dans les dépenses publiques au nom de l’austérité. En ce sens, il est primordial que nous soyons conscients de ce qui se passe au Québec, si seulement pour dénoncer les difficultés auquel font face les étudiants qui tentent de manifester, et l’absurdité des mesures prises pour taire le mouvement.

Malgré les pressions de l’époque, les étudiants choisissent de prendre la rue pour défendre les choix de société qui leur sont chers. Et ils le payent cher.

Ils assument le fardeau que représente cette grève: leur éducation, leur réputation, et leur santé en souffrent, mais ils continuent à prendre la rue, si ce n’est que pour lutter contre l’attitude fermée, autocratique, et franchement inquiétante du gouvernement, des médias et des structures d’autorité. Ce n’est pas juste une grève, ce n’est pas juste une hausse, ce n’est pas juste du pepper spray dans la face ou un pont bloqué; c’est la légitimité de toute contestation sociale qui est en jeu.

Une solidarité avec le mouvement étudiant est une solidarité contre Harper, contre Wall Street, contre l’aliénation, contre les pressions sociales de ce monde qui rendent nécessaire la contestation et la désobéissance civile. C’est une solidarité contre le silence qu’on essaye trop souvent d’imposer à une génération contestataire. C’est une solidarité pour l’accès à l’éducation, mais aussi pour le droit de participer à la démocratie. C’est une solidarité pour dire qu’on est tannés de se laisser faire et de se laisser imposer un modèle de société par une génération déconnectée.

C’est une solidarité pour mettre fin au mythe que les problèmes québécois ne sont pas les nôtres.

“High tuition is not an economic necessity, as is easy to show, but a debt trap is a good technique of indoctrination and control. And resisting this makes good sense.”

— Noam Chomsky, 19 mars 2012

Le Québec en grève!

Nous étions 30 000, le carré rouge épinglé au cœur, à déambuler dans les rues ensoleillées de Montréal pour la manifestation familiale. Nous étions étudiants, amis, parents, professeurs, chargés de cours, élèves du secondaire, artistes et citoyens de tout genre. Nous étions 30 000 de tous les secteurs de la société québécoise à unir nos voix à celle de la cause étudiante. C’était incroyable de vivre une telle démonstration de solidarité. Nous avons pu profiter des bonnes grâces de Dame Nature. Il faisait beau, on aurait dit le printemps. Le beau mouvement qui germait sous la neige de février commençait à fleurir. Il ne reste qu’à espérer qu’il portera fruit.

Tout a commencé le 13 février avec trois associations étudiantes. Aujourd’hui, il y en a 161, représentant plus de 200 000 étudiants. Combien de temps encore le gouvernement pourra-t-il nous ignorer? Combien serons-nous avant qu’il réplique par autre chose que le gaz lacrymogène, les matraques et les grenades assourdissantes qui nous éborgnent?

Combien de temps serons-nous en grève?

Pourquoi la grève?

Parce que le droit à l’éducation est en péril. Parce que la fonction même de l’éducation supérieure est en péril. Plus concrètement, parce que le gouvernement a proposé une hausse de 325$ par année pour les cinq prochaines années, soit une hausse de 1 625$. Notons que le gouvernement avait déjà dégelé les frais en 2007. Depuis, chaque année a coûté 100$ de plus que la précédente. En dix ans, donc, les frais de scolarité passeront de 1 668$ en 2006-2007 à 3 793$ en 2016-2017. C’est plus que le double. Et on ne compte même pas les frais afférents et autres frais obligatoires, qui eux ne cessent d’augmenter depuis la nuit des temps.

Les Ontariens, qui payent les frais de scolarité les plus élevés au pays, se montreront peut-être insensibles à notre cause. Mais ils connaissent très bien la difficulté de payer leurs études alors que leurs salaires stagnent et que le coût de la vie augmente. Ils savent à quel point leurs études sont mises de côté afin de travailler de plus en plus d’heures pour pouvoir les payer. Oui, ils savent à quel point l’éducation est devenue synonyme d’endettement. Plutôt que de nous jalouser, pourquoi ne pas suivre notre exemple?

Car nous savons que si nous ne faisons rien, la situation ne va qu’empirer. Nous savons d’expérience que lorsque l’on hausse les frais de scolarité, de nombreux étudiants font face à une terrible alternative: abandonner leurs études ou se noyer davantage dans les dettes d’études. Ce n’est pas ainsi que l’on construit une société forte et solidaire, une société libre.

Toutes les études le démontrent. Même un rapport du ministère de l’Éducation constate que des milliers d’étudiants n’auront bientôt plus accès aux études. Non, le Québec ne saura être l’exception. On peut s’attendre à ce qui s’est passé en Ontario ou au Royaume-Uni lorsque l’on a haussé les frais de scolarité: une baisse des taux de fréquentation de jeunes issus des familles les plus pauvres. Une éducation de plus en plus réservée aux riches. Il n’y a aucun doute, lutter contre la hausse des frais est une question de justice sociale.

Le gouvernement Charest s’acharne à nous comparer à l’Ontario, à la Nouvelle-Écosse, aux États-Unis. Nous préférons tourner notre regard vers l’Europe. Oui, nous payons moins qu’ailleurs au Canada, mais nous payons plus que les étudiants d’une quinzaine de pays européens, dont certains offrent la gratuité scolaire, voire le salariat étudiant. Pourquoi se comparer au pire, alors qu’on pourrait se comparer au meilleur?

Le gel des frais, la réduction ou la gratuité scolaire ne sont pas des propositions impossibles. La hausse n’est pas inévitable et elle n’est pas économiquement nécessaire. Il s’agit simplement d’un choix de société, comme celui d’avoir la gratuité dans le système de soins de santé. Comme celui d’avoir la gratuité scolaire pour l’éducation primaire et secondaire. Ce n’est qu’un manque de volonté politique qui nous empêche d’accéder à la société qu’on nous avait promise il y a quarante ans. L’argent il y en a, il s’agit de savoir où le prendre et où le dépenser. Mais le gouvernement ne veut pas entendre parler de solutions. Il est plus facile de faire payer ceux qui n’ont pas d’argent que de faire payer ceux qui en ont. Le gouvernement n’est pas obligé d’adopter des mesures d’austérités antisociales, il choisit de le faire.

Oui, d’accord, mais pourquoi la grève?

Parce que ça fonctionne. C’est en fait le seul moyen efficace de faire reculer le gouvernement. En 1968, des milliers d’étudiants déclenchaient la grève pour la gratuité scolaire et l’autogestion des universités. Évidemment, ils n’ont pas eu tout ce qu’ils voulaient, mais c’est grâce à cette grève que les frais de scolarité ont été gelés. D’autres grèves ont eu lieu au cours des années 1970 et 1980 afin de maintenir le gel et d’améliorer l’accessibilité aux études. En 1996, le Parti Québécois proposait une hausse de 30% des frais de scolarité. Une grève a permis encore une fois de geler les frais. En 2005, la plus grande grève générale étudiante a eu lieu lorsque le gouvernement Charest a proposé de couper 103 millions $ du programme de bourses. Encore une fois, le gouvernement a reculé.

Les grèves fonctionnent. C’est d’ailleurs pourquoi le gouvernement refuse de nous parler, traite notre grève de boycott et nous envoie l’antiémeute dès le premier signe de rassemblement. Mais à un moment donné, la grève sera trop coûteuse pour le gouvernement. Il faudra qu’il prenne une décision, soit reculer, soit annuler la session, avec tous les problèmes bureaucratiques et sociaux que cela engendrera.

La grève, lorsqu’appuyée par un nombre suffisant d’étudiants, a toujours mené à un recul du gouvernement. Si le mouvement étudiant s’était bien mobilisé contre le dégel en 2007, il est peu probable que le gouvernement ait proposé de nouvelles hausses en 2010. Si le mouvement de grève ne réussit pas, on pourra sûrement s’attendre à de nouvelles hausses.

Tant que nous sommes solidaires, tant que nous avançons, le gouvernement sera obligé de reculer.

Université du Québec à Sudbury

«Le Canada est à l’heure du choix. Ou bien le principe de l’égalité est traduit dans la réalité, c’est-à-dire dans la constitution et les institutions politiques du pays, ou bien l’on affirme ouvertement que l’égalité n’est pas possible et l’on reconnaît que Québec est le seul gouvernement qui soit apte à assurer le développement de la communauté française d’Amérique du Nord, même s’il encadre une partie de celle-ci seulement»

– Pour ne plus être sans pays, rapport du comité politique
de la Fédération des francophones hors-Québec, 1979

Ceux qui savent lire entre les lignes comprennent l’importance de cette phrase; on y affirmait de façon plus ou moins subtile qu’on devait choisir entre les philosophies fédéralistes de Trudeau et celles nationalistes de René Lévesque. On est en 1979, à l’aube du premier référendum du Québec. Ça ne fait pas longtemps que «Québécois» ça veut dire plus que «un gars qui vient de la ville de Québec». Le Québec est à l’ère des réformes, des projets de société, et de l’éveil culturel.

Le théorème de Thomas: Si les hommes définissent une situation comme réelle, alors elle est réelle dans ses conséquences

Plus de 30 ans après la publication du rapport, ce choix hante toujours les francophones hors-Québec.

D’un coté, le Canada, sous le leadership de Pierre Elliot Trudeau, a reconnu le français comme langue officielle partout au Canada, à titre égal devant la loi. Les choix politiques datant de cette période sont la fondation pour tous les fragiles acquis des communautés minoritaires du Canada, des jugements de la Cour Suprême et de Radio-Canada dans l’Ouest.

De l’autre coté, nos cousins québécois, pour des raisons qui leur sont propres, choisissent la deuxième option. Malgré la Reine sur leur argent, ils ont obtenu un certain niveau de souveraineté dans plusieurs domaines clés. Leurs choix de société réflètent qu’ils ont choisi la deuxième option dans le pari présenté par la FFHQ; que le gouvernement de Québec est le seul apte à assurer le développement du fait français en Amérique du Nord, même s’il n’encadre qu’une partie de celui-ci. Aujourd’hui, le Québec est devenu, dans les faits, une société distincte. La province du Québec n’a peut être pas le droit de se dire indépendante, mais le Québécois a certainement le droit se déclarer non-canadien. Même Harper le reconnait.

C’est bien beau tout ce blabla spéculatif. Arrivons à mon titre : Université du Québec à Sudbury.

Si, au lieu de s’obstiner à se séparer des Québécois, avec notre propre drapeau, nos propres institutions, nos propres comités, nos propres juges «bilingues»…, on s’était battu, en 1979, pour donner plus de pouvoir à ce gouvernement de Québec, pour se greffer à cette structure apte à protéger notre vitalité linguistique? Si on s’était battu, non pas pour le contrôle unilatéral de nos assises culturelles, mais plutôt pour un dialogue sain et une inclusion dans cette nouvelle société que l’on finissait justement d’imaginer? C’était bien trop dangereux que le Québec vienne s’imposer dans les compétences provinciales d’une autre province. L’Ontario n’avait pas envie de se faire assimiler, voyons donc!

Aujourd’hui, il est rendu beaucoup trop tard. Les deux modèles de société ont divergé, l’assimilation a décimé nos actifs, le nationalisme québécois a avorté le rêve du Canada français, et d’un coté ou de l’autre de la rivière des Outaouais, on arrive difficilement à se comprendre entre cousins, au niveau idéologique et linguistique, mais surtout sur le plan institutionnel. Peu importe la bonne volonté, le Franco-Ontarien et le Québécois vivent plus souvent qu’autrement un choc culturel la première fois qu’ils se rencontrent.

On s’est contentés, au lieu, face à l’abandon perçu de 90% de la nation, de se faire donner nos propres écoles, avec des curriculums traduits et des lois pour protéger les ayant-droits. Nos combats, pour les écoles, pour les conseils, pour les collèges, nous définissent aujourd’hui en tant que communauté. On ne sait pas grand-chose sur les Franco-Ontariens mais on sait qu’ils se battent pour leurs hôpitaux français, pour leurs collèges français et pour leurs écoles françaises. Comme l’a démontré un article publié au lancement de taGueule, la nécéssité et la possibilité d’une Université franco-ontarienne soulève encore des tollés.

Notre buddé Durham serait content

Selon moi, une telle université, c’est-à-dire pour les Franco-Ontariens, par les Franco-Ontariens, ne serait qu’un autre pas dans la mauvaise direction, un autre point de non-retour dans notre relation avec le Québec moderne. Un virage de plus vers le wet dream de Lord Durham.

Au lieu de s’obstiner à se doter d’une multitude d’institutions «à nous», pour s’inscrire dans la vision de Trudeau, pourquoi ne pas tenter d’harmoniser les systèmes d’éducation entre Québécois et FHQ, pour que partout au Canada, un francophone reçoive la même éducation? Pourquoi ne pas travailler sur une entente semblable à celle entre la France et le Québec pour qu’on puisse envoyer nos jeunes s’éduquer au Québec, dans leur patrie ancestrale? Pourquoi ne pas donner une désignation officielle de CÉGEP au Collège Boréal et à la Cité Collégiale? Pourquoi ne pas inclure la franco-ontarie dans le système universitaire bas-canadien, en adaptant le contexte et les conventions, mais en gardant le fond et le principe?

Les Gaspésiens n’ont pas «l’Université de la Gaspésie», le Lac-St-Jean n’a pas «l’Université des Saguenéens», mais plutôt l’Université du Québec à Rimouski et l’Université du Québec à Chicoutimi, respectivement. Je sais que ça ne se produira jamais, et je sais qu’il est trop tard pour espérer que cette idée attire un certain soutien populaire, mais reste que j’aimerais bien voir l’UQAS avant l’UFO.


Photo: Vue aérienne des installations de Vale à Sudbury, Bob Chambers/Kalmbach Publishing