Deshonoris causa

Monsieur le recteur Robert Haché,

Nous sommes au printemps 2002. L’Université Laurentienne m’annonce vouloir me conférer un doctorat honoris causa.

Je me rends à Sudbury avec ma fille. Marielle a onze ans. C’est une aventure. Sa première fois dans le Nord.

Je me souviens d’un ciel bleu ensoleillé. Je me souviens d’un auditorium rempli des jeunes visages des frais diplômés qui rayonnent, des visages moins jeunes mais tout aussi rayonnants des fiers parents et grands-parents.

Je me souviens de Denise Truax et de Denis St-Jules et de plusieurs autres ami.e.s qui me félicitent. Et se peut-il que Gaétan Gervais (un des papas du drapeau vert et blanc) ait été là lui tou?

Je me souviens surtout et, ô si bien, du beau grand sourire de feu Robert Dickson. Marielle et moi, nous avons partagé avec lui un repas ce soir-là sur la rue Patterson dans la salle à manger qui se retrouve au-dessus de la roche enceinte de poésie au sous-sol. Et Marielle nous regarde drôlement quand Robert et moi nous tentons de lui expliquer l’image de Patrice Desbiens.

Ce jour-là, je suis fier et je rayonne parce que ça fait toujours chaud au cœur d’être reconnu par ses pairs, sa communauté, son monde. Ok. Oui surtout devant sa fille de onze ans.

Et je m’en souviendrai encore longtemps.

Mais cette Université Laurentienne là n’est plus. POUF! Disparue.

Et la Laurentian University wouldn’t know me from a hole in the wall.

La Laurentienne avait ses lacunes mais les Robert Dickson et les Gaétan Gervais (et combien d’autres collègues) y enseignaient. Et c’est au cours de leurs carrières à la Laurentienne qu’ils / elles ont écrit et créé et pensé et milité et ils / elles ont changé notre monde.

Depuis ce lundi, ils n’ont plus leur place sur le campus, leurs programmes et départements ont été éliminés, même leurs héritiers ont été renvoyés de façon sommaire.

Par vous.

Pis ça c’est triste. Et fâchant. Surtout triste. Mais fâchant en crisse aussi.

Monsieur Haché, je vous écris aujourd’hui parce que si je chéris le souvenir de mon passage à Sudbury au printemps 2002 et ce ‘honoris causa’ de la Laurentienne d’antan, vos actions récentes me heurtent profondément. Leurs violences m’horripilent. Et je redoute leurs conséquences.

Et vous osiez citer CANO et Dickson en vous vantant d’être ‘un flambeau de la francophonie ontarienne’ alors que vous vous prépariez à vous placer sous la loi sur les arrangements avec les créanciers????

Monsieur Haché, vous et vos semblables prédécesseurs auront à répondre de vos gestes.

‘Notre communauté’ vous regarde et vous juge.

Pour ma part, après avoir écouté certains parmi ceux et celles qui ont été licenciés me raconter leur journée du lundi, je me vois mal conserver un lien avec une institution qui renie les bons coups de son passé, qui tourne le dos sur le rôle qu’elle aurait pu jouer dans l’avenir, et qui agit aussi mal avec mes ami.e.s.

En guise de solidarité avec tous les profs et étudiants qui ont tellement perdu ce lundi, je renonce donc (avec regret) aux titres et privilèges attachés au doctorat honoris causa qui m’a été décerné en 2002.

La résistance ne fait que commencer.

En appelant à la levée du bâillon (légal mais illégitime) imposé par le juge responsable de la restructuration de la Laurentian University et à la tenue d’une enquête fouillée pour déterminer les véritables causes du fiasco financier qui a provoqué cette crise.

Jean Marc Dalpé


Photo: La Presse

Le suicide de l’Ontario français

La Franco-Ontarie est mourante. S’il y a une place où nous pouvons attester cela sans crainte, c’est bel et bien ici. Mais la mort du peuple franco-ontarien ne sera ni la faute du monolithe anglophone ni des orangistes, ni même de (soupir) l’assimilation. Non, la mort de l’Ontario français aura pour cause que celle-ci s’est tranquillement et progressivement asphyxiée. Et donc, comme pour tout bon suicide, une note de la victime s »impose. Je propose la suivante.


Aux gens des Pays-d’en-Haut, de l’Ontario français:

Excusez-moi!

Excusez-moi de ne pouvoir résister à l’apathie générale qui entoure mon existence!

Excusez-moi de ne plus pouvoir me battre contre cette apathie!

Combattants de l »avenir, excusez-moi! Vous direz sans doute que mon apathie envers votre cause est inacceptable.

Tous les Lajoies, Desloges, des Ormeaux, Brûlés…, excusez-moi! Mon abandon trahit vos efforts.

Quand j »affirme que les deux seules variantes de la langue française que j’accepte comme «normales» sont celles de l’Est et du Nord ontarien, excusez-moi!

Je demande au peuple des «régions» de m »excuser, celui qui, en souffrant, m’a vu prêter toute mon attention aux communautés fortes, telles que Sudbury et Ottawa!

Excusez-moi d’avoir divisé un groupe déjà minoritaire en deux systèmes: l »un catholique, l »autre public!

Excusez-moi d’avoir été trop conservateur en ce qui concerne la online casino religion!

Les francophones qui ne sont pas «pur laine», ceux et celles que j’ai tant aliénés et marginalisés, excusez-moi!

Excusez ma xénophobie!

Excusez-moi d’avoir créé une société tellement exclusive que des jeunes portant des noms comme Giroux, Leblanc, Veilleux et Desrochers se sentent rejetés par celle-ci!

Jeunes francophiles et étudiant/e/s en immersion, excusez-moi! Je vous ai ignorés car je vous voyais comme francophones de deuxième classe.

Excusez-moi d’avoir corrompu notre jeunesse avec ces pensées!

Enfants de familles exogames, excusez-moi! Je n’ai pas su vous encadrer afin que vous puissiez vivre en français, maintenant et plus tard.

Excusez-moi pour un système d’éducation qui ne fait rien pour retenir une jeunesse déjà susceptible d »adopter la culture de la majorité!

Excusez-moi chers francophones assimilés et acculturés, vous que j’ai osé utiliser comme boogeyman pour nos jeunes! Vous n’êtes pas un boogeyman, vous êtes ma raison d’exister.

Excusez-moi d’avoir transmis l »idée que l’assimilation est un choix!

Excusez-moi d’avoir participé à cette assimilation en oubliant de m’occuper de ceux qui se font assimiler!

Excusez-moi d’avoir gardé le silence en voyant tout cela se dérouler sous mes yeux!

Excusez-moi! Mea-culpa!

L’Ontario français

Franco-Ontarien inc. est mort

Depuis son décès, on entend plein de louanges au sujet de Paul Desmarais, un Franco-Ontarien devenu un des hommes les plus puissants de la planète. Je trouve qu’il est temps qu’on tire les choses au clair.

Premièrement, je n’ai rien contre les gens d’affaires. Je trouve qu’encourager nos commerces locaux qui vendent des bons produits, respectent l’environnement, embauchent des gens d’ici et leur offre des bonnes conditions de travail est super bon pour l’économie et pour créer un esprit de solidarité dans une communauté.

Cependant, quand j’entends dire que Paul Desmarais a été le premier à découvrir le potentiel économique de la Chine, j’ai un problème. Même avec les meilleures intentions au monde, il a exploité une main-d’œuvre à bon marché pour offrir des produits à prix réduit chez nous et ailleurs dans le monde, ce qui vient pratiquement tuer nos commerces locaux qui ne peuvent faire concurrence.

Deuxièmement, quand je vois le nom «Desmarais» sur un édifice de l’Université d’Ottawa, je n’éprouve aucune fierté. Au contraire, ça me fait peur! À mon avis, cela démontre que l’université place les intérêts de grandes entreprises privées avant ceux du public, et surtout ceux des étudiants. Si M. Desmarais voulait vraiment venir en aide aux étudiants, il aurait accepté de payer plus d’impôts pour que nos gouvernements puissent financer adéquatement l’éducation supérieure et la rende accessible à toutes et à tous, pas seulement ceux et celles dont les parents ont suffisamment d’argent ou qui répondent à des critères spécifiques leur permettant d’obtenir des bourses.

Je reconnais que Paul Desmarais est un pionnier, qu’il est un des premiers hommes d’affaires canadiens-français à faire fortune alors que le marché était contrôlé par une élite anglophone. Pour ça, il avait du «guts» et s’ il a pu inspirer d’autres jeunes francophones à se lancer en affaires, tant mieux. Cela étant dit, ce n’est pas aux dirigeants de grandes entreprises de déterminer ce qui est bon ou mauvais pour la population. Ils ont les moyens d’acheter une tonne de journaux (comme M. Desmarais a acheté Le Droit, La Presse et plusieurs autres journaux au Québec) pour imposer leurs idées au peuple, mais leurs opinions ne sont pas plus importantes ou valables que n’importe quel autre citoyen/ne. C’est pour cette raison qu’on a des élections et qu’on choisit nos représentant/e/s. Et si ces personnes sont incapables de défendre nos intérêts, si elles plient l’échine devant des gens comme Paul Desmarais, je pense qu’on devrait tout simplement les «sacrer dehors»!

Appel à la mobilisation!

Le temps est venu pour que la communauté franco-ontarienne se mobilise à nouveau pour revendiquer son droit à une université de langue française en Ontario. Quand je parle de mobilisation, je ne parle pas juste d’une mobilisation étudiante, mais d’un véritable mouvement communautaire franco-ontarien. Une université autonome, créée et gérée par et pour les francophones, c’est une question de société essentielle à notre avenir collectif. Nous avons les nombres. Nous avons les compétences. Il ne manque qu’un signal clair et concerté des Franco-Ontariens que nous la voulons vraiment cette université.

Après avoir fait mon bac au sein d’une université bilingue, après avoir voyagé dans plusieurs villes de la province et avoir rencontré des étudiants d’un peu partout, après avoir animé de multiples consultations et événements en tant que coprésidente du Regroupement étudiant franco-ontarien (RÉFO), pour moi le constat est clair : les institutions bilingues ne répondent pas aux besoins et aux aspirations de plusieurs étudiants francophones de cette province.

Fois après fois, j’ai entendu des témoignages du type :

«Ce n’est pas possible de terminer mon programme en français» ;
«Mon cours en français a été annulé» ;
«On m’a vendu un programme en français, mais j’ai reçu un programme bilingue» ;
«Mon programme n’est pas offert en français» ;
«La vie culturelle en français sur mon campus est limitée» ;
«La minorisation des francophones dans les instances décisionnelles de mon campus est visible» ;
«Je ne me sens pas 100 % à l’aise sur mon campus».

Nous méritons et avons droit à mieux que ça !

Si je me suis impliquée au sein du RÉFO, c’est parce que ces limites à nos choix, cette obligation de tolérer des programmes et services réduits alors que notre communauté fait face aux ravages de l’assimilation et de l’acculturation, ça ne me tente plus de l’accepter. Je crois que la question de la mise sur pied d’une université de langue française, gérée par et pour les francophones, doit devenir notre projet d’avenir, notre prochaine «Guerre des épingles», notre prochaine lutte pour les collèges, notre prochain Montfort. L’avenir de notre communauté en dépend. Le temps n’est plus à se demander si nous avons besoin de notre propre université, mais bien comment y arriver !

(Si les justifications derrière le besoin d’une université de langue française vous intéressent, je vous invite à visiter le site web du RÉFO.)

Maintenant, comment y arriver ? Comment rallier la communauté ? Comment demander au gouvernement de renverser l’injustice historique qui nous prive d’avoir accès à une université autonome comme l’ont les Acadiens, les Franco-Manitobains, les Anglo-Québecois ? On y a pensé longtemps (et on continue à y réfléchir).

Pour stimuler cette réflexion et mobiliser la communauté envers ce projet, le RÉFO lancera d’ici quelques semaines les États généraux sur le postsecondaire en Ontario français, c’est à dire un large processus de réflexion communautaire, qui se poursuivra jusqu’à l’hiver prochain. Ces États généraux rassembleront tou.te.s les actrices et les acteurs intéressé.e.s par la question : jeunes et aîné.e.s, étudiants et professeurs, parents et enseignants. Nous pourrons ensemble déterminer les besoins que nous devons adresser ensemble pour la prochaine décennie et des étapes à franchir pour faire de l’Université franco-ontarienne une réalité.

Et les institutions bilingues dans tout ça ? Je les invite à embarquer dans le projet, il faut joindre nos forces. Depuis des décennies, nous avons essayé le modèle bilingue et il est irréfutable qu’il comporte des failles. Mais cela n’est pas une raison de tout jeter à la poubelle. Nous avons plusieurs professeurs de qualité, des facultés francophones, des instituts et des chaires de recherche, des associations étudiantes… Sans compter tous les membres de l’administration que j’ai eu la chance de rencontrer et qui ont le cœur à la bonne place. Il y a une expérience et une expertise importante dans ces institutions : à nous de les utiliser intelligemment.

Chers lecteur et lectrices, l’Université de l’Ontario français est un projet essentiel pour notre avenir collectif. Je vous invite toutes et tous à participer activement à la discussion. À sortir de vos zones de confort et à revendiquer vos droits ! Pour les sceptiques et les cyniques, on veut aussi vous entendre. Rien n’a jamais été gagné en gardant le silence. C’est important de ne pas perdre le momentum. Assurons-nous que cette fois-ci soit la bonne !

Nous possédons déjà une gouvernance autonome au sein de nos conseils scolaires et nos deux collèges francophones. L’Université franco-ontarienne est la dernière brique dans notre pyramide éducative. C’est une étape nécessaire à l’épanouissement, à la pérennité et au rayonnement de la communauté franco-ontarienne dans le temps et dans l’espace.


taGueule a originalement publié ce texte avec une préface signé par son comité d’édition qui aurait pu être perçu comme une action pour discréditer les propos ci-haut. Ce n’était pas du tout son intention, et pour cette raison, nous avons effacé la préface maladroite. taGueule n’est pas parfaite.

600 000 raisons de se poser des questions

Ça fait depuis le début des temps (oui, vraiment) qu’on s’obstine à savoir combien il y a de francophones en Ontario. Dans nos cours d’histoire au secondaire, on a entendu tous les chiffres possibles entre 375 000 et 650 000 tout en sachant très bien qu’il y’avait une différence entre un Franco-Ontarien et un Ontarien francophone . Voilà que le malaise s’installe. Ça fait plus d’un an que ce texte est dans notre collimateur. Maintenant que d’autres commencent à s’intéresser à la question, on a jugé qu’il était temps de le publier et d’ouvrir la discussion. Let’s talk. 


Est-ce qu’il y a vraiment 600 000 Franco-Ontariens? 600 000 francophones en Ontario? 600 000 locuteurs de la langue française sur le territoire de la province de l’Ontario? Do 600 000 people actually give a fuck about the French language in Ontario?

Est-ce qu’on ne serait pas mieux de se dire 300 000 et se concentrer sur ceux-là? Est-ce qu’on devrait arrêter de dépenser notre énergie, nos resources et nos subventions gouvernementales sur les ayant-droits sans espoir, sur les anglophones opportunistes, et sur les franglo-Ontariens apathiques?

Est-ce qu’on ne serait pas mieux de se dire 150 000 et se concentrer que sur les gens qui ne vivent qu’en français, qui intériorisent leurs réalités en français, et qui n’ont rien à redouter de l’assimilation?

Est-ce qu’on est capable de trouver 75 000 Ontariens francophones avec la même réalité?


Est-ce que le bilinguisme officiel fonctionne? Est-ce qu’on force les anglophones à apprendre le français? Did you go to french school? Do you still speak french?

Est-ce que je vous frustre? Est-ce que j’ai le droit de poser ces questions là? Est-ce que je suis un franco-traître? Est-ce qu’on se souvient?

Est-ce que la Patente est dans la salle?


Est-ce qu’on devrait être plus honnêtes dans nos revendications? Est-ce qu’on devrait dire aux anglophones qu’on est capables de parler anglais, pour pouvoir leur faire comprendre qu’on veut plutôt parler français, au lieu de leur donner l’impression qu’on se plaint pour rien? Est-ce qu’on devrait leur dire qu’on n’a pas nécessairement les réponses? Est-ce qu’on devrait essayer de leur expliquer pourquoi l’assimilation nous fait peur, au lieu de s’entêter à poursuivre un dialogue de sourds? Est-ce que c’est en se battant contre des contraventions ou en poursuivant Air Canada ou en invoquant nos droits constitutionnels qu’on va réussir à se partir une vraie conversation? Entre qui devrait avoir lieu cette conversation?

Est-ce que c’est légal de vendre des faux drapeaux franco-ontariens? Est-ce qu’il y a une limite à la grosseur du drapeau? Do we deserve a flag? Do we need a flag?

Est-ce qu’on devrait s’allier aux Autochtones, aux Tamouls, aux Ukrainiens pour la reconnaissance d’une certaine diversité canadienne? Est-ce qu’on devrait se battre pour notre spécificité? Quelle spécificité? Est-ce qu’on devrait continuer nos combats identitaires internes, futiles et déjà perdus?  Est-ce qu’on devrait essayer de parler aux Québécois, en espérant qu’ils nous écoutent pour une fois?

Pourquoi, 30 ans plus tard, nos cadavres sont-ils encores chauds? Est-ce que les canards sont encore morts?

Est-ce qu’on est vraiment un peuple fondateur? Est-ce que Trudeau avait raison? Est-ce que Durham a réussi? Est-ce qu’on a un pays?

Est-ce qu’on est bien, dans le fond? Est-ce qu’on revendique pour rien? Can we prove an angryphone wrong?


Est-ce qu’on choisit mal nos luttes? Est-ce qu’on a une lutte? Est-ce qu’on s’est fait lutter?

Est-ce qu’on devrait tous déménager dans la même région? Est-ce qu’on devrait multiplier les contacts et les rencontres? Est-ce qu’on devrait se battre pour une autoroute entre Lafontaine et North Bay? Un TGV entre Ottawa, Toronto, et  Sudbury? Est-ce qu’on est capables de réunir assez de gens pour effectuer des vrais changements? Est-ce qu’on est capables, en tant que communauté, de prendre à cœur des causes qui ne touchent pas que la langue? Est-ce qu’on devrait?

Est-ce qu’on fête la Saint-Jean-Baptiste? Est-ce qu’on fête la fête du Canada? Est-ce qu’on fête le 4 juillet?


Quand on dit «nous», de qui on parle? Quand ils disent « they », de qui ils parlent? Quand on dit « we », est-ce que c’est « on »?

Est-ce que le verre est à moitié vide? À moitié plein? Est-ce qu’on a assez d’eau? Est-ce que le verre est trop grand?

Est-ce que j’écris pour rien? Est-ce que vous allez tout simplement vous dire «ah ok» et fermer cette page sans laisser de commentaires? Est-ce que vous savez qui a gagné la game hier soir?

Est-ce qu’il y aura encore des gens pour poser ces questions dans 30 ans?

 

 

Je l’sais pas.

Faut qu’ça bouge encore… ‘stie!

Depuis l’annonce de la programmation partielle de la 40ème Nuit sur l’étang, je sens comme un malaise. Le premier malaise vient des petits ragots, des critiques feutrées. Le deuxième malaise vient du manque d’enthousiasme, ou pour être plus juste, du je-m’en-foutisme caractérisé de la communauté par rapport à cet anniversaire. Je sais que certains ont leurs doutes, leurs ras-le-bol de cette «grande messe» où on serait sommé de dire «Amen» au drapeau vert et blanc, fleurdelisé et fleurtrillé, leurs envies de meurtre, leurs rancœurs et autres mesquineries. Ce qui me choque c’est que personne ne semble voir que cet anniversaire – et son succès – dépasse, de très loin, nos petits égos.

En disant cela, je ne tombe pas dans le discours narratif mythifié ou nostalgique d’une grande époque perdue. Bien au contraire, je crois que nous avons devant nous, en face de nous, en nous, la première génération de jeunes Franco-Ontariens aussi brillants que la gang de CANO.  Est-ce que les Patricia Cano, David Poulin, Cindy Doire, Tricia Foster de ce temps ont quoi que ce soit à envier à un Robert Paquette? Un Christian Pelletier qui se démène comme un fou dans la communauté, l’homme invisible visible qui brasse les cages, les idées, et surtout réalise de beaux projets (We Live Up Here) n’a rien à envier à un Gaston Tremblay. Nos jeunes poètes, Daniel Aubin, Sonia Lamontagne, Daniel Groleau-Landry, Guylaine Tousignant, n’ont rien à envier à ceux qui sont devenus – bien plus tard – des monstres sacrés, les Dalpé, Dickson et Desbiens. Ce que font Mélissa Rockburn et Miriam Cusson avec les Productions Roches Brulées, et la prestation extraordinaire de France Huot sur les planches vaut largement les débuts sur scène d’un André Paiement. Pourquoi nier l’évidence? D’où vient cette espèce de déni, voire de dénigrement, on se croirait en présence de clones de Kafka.

Est-il nécessaire de rappeler que si la gang de CANO a autant marqué son époque, c’est parce que tout était à faire, tout était à construire, alors qu’aujourd’hui il s’agit de pérenniser nos institutions, défi bien plus difficile à relever? Faut-il rappeler que le contexte culturel était fort plus accueillant à la création, en plein milieu du mouvement de la contre-culture américaine, alors qu’aujourd’hui nous devons faire face à un mouvement d’anti-culture? Est-il nécessaire de souligner que la gang de CANO n’aurait pu exister sans quelques jésuites allumés alors qu’aujourd’hui les universités sont devenues des boites à fric où les pseudo-compétences professionnelles priment, et de loin, sur les savoirs et la culture? Faut-il rappeler que bien sûr à l’époque le monde participait en masse parce qu’il n’y avait rien d’autre à faire que d’aller au seul parté en ville, alors qu’aujourd’hui le monde est vautré dans son fauteuil devant un écran?

Est-ce que personne ne se rend compte que certains Anglos, que les ministères, que les traitres, coincés le pied dans le cadre de la porte, n’attendent qu’une chose : qu’on se plante, et si possible de façon monumentale? Nous n’avons jamais été à un moment aussi important de notre histoire. Si nous ne pouvons réussir au moment même où nos artistes brillent, alors la messe est dite. Et dans 40 ans, il n’y aura pas de 80ème anniversaire. Moi j’ai fait le choix de rester à Sudbury; j’ai fait le choix de me définir Franco-Ontarienne, pas seulement par souvenir pour Robert, pas seulement parce que je tripe à lire Jean Marc; parce que je crois en vous et que vous êtes une belle gang; parce que je veux que mes filles dans 40 ans, elles soient sur scène à déclamer du Daniel Aubin, à performer un «freedom frogs have survived» ou à chanter du Patricia Cano.

Faudrait s’en parler…

Un premier coup d’oeil sur les données linguistiques du recensement de 2011 indique clairement que les choses ne s’améliorent pas pour la francophonie ontarienne. Pas que la situation se soit dramatiquement détériorée au cours des cinq dernières années, mais les tendances au déclin du français se confirment à peu près partout, même dans les régions où les francophones restent majoritaires.

On peut toujours se draper, comme il est devenu l’habitude de le faire en milieux officiels, dans les savantes – et jusqu’à un certain point, pertinentes – pondérations statistiques qui permettent de gonfler un peu artificiellement, à mon avis, la force de la francophonie au Canada (y compris au Québec). Mais quand on regarde les chiffres bruts, la réalité nous revient, implacable, et appelle une intervention rapide pour sauver les meubles.

Le discours optimiste des « lunettes roses » ne fait que masquer une détérioration très réelle. On n’a qu’à regarder sans enrobage les réponses à la question du recensement sur la langue d’usage (la langue la plus souvent parlée à la maison) pour s’en convaincre, au regard des données sur la langue maternelle.

De 2006 à 2011, selon les profils des communautés des deux recensements, le nombre de francophones de langue maternelle a augmenté de près de 5000 seulement (488 815 à 493 300) tandis que le nombre de personnes ayant le français comme langue d’usage a diminué de 5 000 (de 289 035 à 284 115).

Pour avoir une idée de l’accélération de l’assimilation, regardons les chiffres du recensement de 1971, qui donnaient 482 045 francophones selon la langue maternelle, et 352 465 selon la langue d’usage ! Si on compare celui de 1971 aux deux recensements les plus récents (langue maternelle et langue d’usage), on arrive à des taux respectifs de persévérance de la langue de 73,1% en 1971, 59,1% en 2006 et 57,6% en 2011. Évidemment, ces chiffres sont trompeurs et il faut vraiment regarder de région en région, de ville en ville, de village en village pour comprendre la réalité. C’est grand, l’Ontario.

Si, au sud, dans les régions de Penetanguishene, Welland ou Windsor, les taux de persévérance sont à peine de 25% à 35%, ils dépassent régulièrement le seuil des 90% dans des régions de l’Est et du Nord ontarien. À certains endroits, ils frisent le 100 % et le dépassent même dans trois villages. À Jogues, Mattice et Val-Cöté, tous dans la région de Hearst, ce sont les francophones qui assimilent les anglophones… Entre les deux, il y a les agglomérations urbaines d’Ottawa et de Sudbury, où les taux de persévérance sont plus inquiétants, à près de 70% (Ottawa), voire alarmants à près de 55% (pour le Grand Sudbury).

Je retiens, dans un premier temps, avant d’approfondir davantage l’analyse, trois constats :

Premier constat

Il existe donc en Ontario trois zones où les francophones ont des taux de persévérance très, très élevés (90% et plus) :

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[li]le corridor de la route 11, entre Smooth Rock Falls et Hearst[/li]
[li]le secteur Nipissing Ouest, entre Sturgeon Falls et Sudbury[/li]
[li]le secteur de Prescott-Russell, à l’est d’Ottawa[/li]
[/arrow-list]

Ce sont essentiellement des petites municipalités et des secteurs ruraux, ayant une population limitée, mais dont le caractère majoritairement francophone se maintient pour le moment.

Deuxième constat

En Ontario, plus de 35% des francophones (selon la langue d’usage) demeurent à Ottawa (86 000) et Sudbury (14 000). À Ottawa (je ne sais pas pour Sudbury), ils sont cependant plus dispersés que jadis. Alors qu’auparavant il existait des quartiers canadiens-français, les francophones sont maintenant minoritaires dans tous les quartiers de la capitale. Ils sont cependant nombreux.

Troisième constat

Les taux d’assimilation ont atteint des niveaux dramatiques dans des endroits comme Welland et Windsor, et même Cornwall où, il y a un demi-siècle, les francophones formaient près de la moitié de la population.

Faut s’en parler…

Quand j’étais à l’ACFO, années 60, début années 70, ce phénomène était déjà perceptible, quoique bien moins accentué, mais les moyens de communication entre les différentes communautés étaient presque nuls, et les distances immenses. Il était difficile de concevoir et mettre en application des stratégies coordonnées. Aujourd’hui, avec l’Internet et les médias sociaux, les distances s’estompent.

Pendant qu’il est encore temps, il faut souhaiter que puissent s’amorcer des échanges, sur Facebook, sur Twitter, entre Franco-Ontariens de différentes régions et à l’intérieur de différentes régions, entre Franco-Ontariens et Québécois, entre Franco-Ontariens et Acadiens et francophones de l’Ouest, pour qu’à partir d’analyses réalistes, les enjeux linguistiques (et autres enjeux) fassent l’objet d’un forum permanent en ligne. Le simple fait de créer des contacts par l’intermédiaire du Web aura, j’en ai la conviction, des effets appréciables.

Où cela peut-il mener? Pas la moindre idée. Mais ce peut être un point de départ utile…


Ce texte a originalement été publié le 6 novembre 2012 sur le blogue de Pierre Allard.

J’veux pu worryer mon brain avec ça…

Aujourd’hui, je vous parle de la «controverse» qui a eu lieu entourant le texte de Christian Rioux dans le Devoir. Vous l’avez déjà lu, celui où il s’empresse de traiter le chiac d’une «sous-langue d’êtres handicapés en voie d’assimilation». Bon. On est peut-être arrivés un peu en retard à la game, mais fuck it.

Pourquoi prenons-nous le temps de revenir sur un débat essentiellement clos (Rioux est dans les patates, c’est lui qui n’a pas compris)? Parce qu’on se sent obligé de le faire et parce que le français au Canada a d’autres chats à fouetter que celui-là. Rendu en 2012, on penserait qu’on serait rendu à un point où ce genre de texte ne paraîtrait jamais dans un des plus grands journaux du pays.

Peu importe, je ne suis pas sociolinguiste. Je suis un gars de Sudbury (d’Azilda!) qui a grandi avec une mère originaire de l’Abitibi (mais installée avec sa famille depuis l’âge de 5 ans à Sudbury… ses parents n’ayant toujours pas maîtrisé l’anglais) et un père originaire de Sudbury (d’Azilda!).

Si Rioux parle des Acadiens en tant qu’êtres handicapés, c’est qu’il considère le chiac comme étant une crutch. Mais comprend-il la réalité de l’Acadie? Comprend-il que dans le cas de certains Acadiens, ne pas parler le chiac chez soi, c’est l’équivalent d’un anglophone du Nouveau-Brunswick qui adopterait un accent britannique juste parce qu’il trouve son dialecte régional «inaccessible» pour les anglophones de l’Alberta?

Transposons-nous en Ontario français, plus spécifiquement à Sudbury (je me limite à Sudbury parce que je ne veux pas faire des généralisations grossières au sujet de régions qui me sont moins familières. Même Sudbury n’est pas monolithique à cet égard) où le français de la rue est essentiellement composé d’une majorité de mots français, (mais aussi de mots anglais) parfois familiers et détenant un mélange de syntaxe anglaise et française. Si un mot veut escaper en anglais par exemple, on ne se gêne pas de le dire pis de switcher back au français tusuite après. Nous, ces mots-là, on ne les voit pas en italiques dans nos têtes! On me prendra peut-être pour un clown, mais c’est comme ça que je parle avec ma famille, c’est comme ça que je parle avec ma blonde et c’est comme ça que je suis au naturel. Ça ne m’empêche pas de parler un français standard quand il le faut, ni d’écrire avec un niveau de langue digne d’être lu.

La réalité de nos milieux, minoritaires ou pas, fait en sorte qu’on fait des emprunts linguistiques, et ce, tant à Shédiac, qu’à Moncton, qu’à Chelmsford, qu’à Saint-Boniface et même qu’à Montréal ou à Québec. On s’en crisse pas mal, puis on se sent très bien dans notre peau.

Et ça va de même en anglais. Mise en situation : Je suis étudiant à la maîtrise en histoire à l’Université Laurentienne. Les étudiants du cycle supérieur partagent un bureau. Certains parmi eux étudient en français (2) et certains étudient en anglais (6). Quand je parle à mes collègues anglophones (du moins ceux qui ne comprennent pas le français, parce que certains d’entre-eux le comprennent et le parlent effectivement) je ne me gêne pas d’aller piger un mot en français s’il véhicule mieux l’idée que j’ai en tête. Parfois je dois l’expliquer, mais la plupart du temps, ils comprennent la nuance entre les deux mots. Tout le monde dort moins niaiseux en conséquence. Peut-être est-ce une réalité propre à mon milieu, mais le monde académique semble avoir tendance à emprunter aisément des mots comme l’establishment ou le globalism alors que des termes «équivalents» existent également en français. On ne se gêne pas non plus de citer des phrases entières dans des langues étrangères par crainte de déformer les idées de l’auteur initial au moment de la traduction!

Dans le texte de Joseph Edgar, publié le 5 novembre, il nous dit «Le chiac, c’est pas le français universel ». Mais là, le franglais de Sudbury, le joual de Rouyn, la langue de la rue de Montréal puis le làlàlage du Saguenay non plus.

Suivez-moi.

«Et si on veut participer à un monde francophone et se faire comprendre dans ce monde francophone, on pourrait peut-être songer à être un peu plus humble et faire un effort pour mieux se faire comprendre». Ici, je suis d’accord! Mais peut-on laisser de la place aux deux? Est-ce vraiment si inconcevable de maintenir son dialecte régional (dans une forme correcte… c’est-à-dire en évitant les calques et en conjuguant ses verbes correctement, etc.) tout en apprenant la «bonne façon» de dire quelque chose? Est-ce mal de continuer à rouler son R au moment d’une présentation si le vocabulaire et la syntaxe sont corrects?

Suis-je le seul à voir quelque chose de beau dans les régionalismes? Suis-je le seul à trouver ça cute d’entendre le «so-sisse» des Abitibiens ou bien le R roulé de Sturgeon Falls? Est-ce vraiment inconcevable de dire «ah vous dites « vidéo » au féminin? À Sudbury on le dit généralement au masculin» alors que ce ne soit pas nécessairement le cas dans le restant du monde?

On pourrait-ti arrêter de worryer nos brains avec ça pis juste vivre en paix?

L’éléphant dans l’école

C’est l’éléphant dans la salle. Il est impossible à ignorer. On chuchote souvent dans son dos. Pas vraiment par peur. Car parfois, il est vrai, on en parle de vive voix. Toutefois, c’est généralement sans grande conviction, avec une certaine lassitude. Il fait partie du paysage. Il semble immuable. On s’y est habitué. On a nommé, bien sûr, la division du système scolaire ontarien en une branche publique et une branche catholique.

Voilà des années qu’un débat sur le sujet mijote en Ontario français… mais à feu bas. TFO vient tout juste de soulever le couvercle en espérant, on suppose, provoquer une discussion. taGueule salue l’initiative, et veut bien aider à brasser ce breuvage suspect. S’il y a un sujet sur lequel il est nécessaire, pour les Franco-Ontariens, d’avoir un débat de société dans le sens le plus civil du terme, c’est celui-ci. Les positions sont déjà polarisées. C’est un thème qui touche au personnel. On l’avoue – oui, nous – qu’un coup de gueule, ici, pourrait faire plus de tort que de mal. Reste à voir s’il y a moyen d’avancer ensemble, de rompre l’immobilisme qui sévit depuis des décennies. Visionner cette vidéo serait un bon départ.