Sous le soleil exactement

AMADOU & MARIAM
Folila
Because Music

Huit ans après avoir séduit la planète avec Dimanche à Bamako (réalisé par Manu Chao), le sympathique couple malien propose Folila, un 9e album sans grande surprise. La magie opère-t-elle encore? Ont-ils su évoluer? Innover? Le mélange de tradition et de modernité est-il aussi bien dosé? Honnêtement, on finit par s’en foutre au fil des écoutes…

On s’en fout parce que tout est affaire d’équilibre chez Amadou et Mariam. Encore une fois, des rythmes chauds à vous faire hospitaliser pour déshydratation (cas vécu ici) côtoient des riffs de guitare venus d’un autre siècle. Du soul, du funk, de l’afrobeat, du blues, du reggae. Des mélodies répétitives, des sautillantes, une berceuse, du clinquant, du soleil et de la poussière. En français, en anglais, en dialectes africains. De l’amour, de la politique, de l’idéalisme et encore de l’amour dans les paroles. Amour d’Amadou, de Mariam, de l’Afrique et de l’humanité tout entière. Une brochette impressionnante d’artistes invités (Santigold, TV on the Radio, Theophilus London, Scissor Sisters, etc.) qui donnent tous l’impression de faire partie du groupe depuis toujours. Fraternité universelle dans ce qu’elle a de plus noble, jusqu’à accueillir le «paria» Bertrand Cantat, qui pose sa voix toujours aussi belle et déchirante sur 4 des 13 pièces de l’album.

Or, donc, est-ce qu’Amadou & Mariam répètent la formule qui leur permet de faire le tour du monde depuis ce fameux Dimanche à Bamako ? Oui.

Est-ce que le couple jouit d’un capital de sympathie (ils sont cool, beaux, amoureux et aveugles) qui biaise parfois le sens critique ? Peut-être.

Mais tout ça, on s’en fout, justement. L’esprit critique s’étiole là où survient un tapement de pied. On ouvre alors les fenêtres, on monte le volume et on s’imagine sur une route de Tombouctou. On tente d’oublier le mal qui ronge le Mali depuis quelques mois. Et on se dit que, s’il n’y a rien de nouveau sous le soleil, ça nous chauffe quand même le coeur et les pieds. Pourrait-on reprocher au soleil de se répéter?

Dans une galaxie près de chez vous…

AVEC PAS D’CASQUE
Astronomie
Grosse Boîte

Au lieu de simplement rafistoler le folk joliment déglingué de ses deux premiers albums, dont l’excellent Dans la nature jusqu’au cou en 2009, le groupe montréalais Avec pas d’casque a choisi d’ajouter des sonorités plus atmosphériques, voire cosmiques. Défoncer le toit de la shed plutôt que bêtement la repeindre. Du coup, on en voit mieux les étoiles.

Ces étoiles, on les doit à l’arrivée du trompettiste baryton Mathieu Charbonneau (Torngat, The Luyas) et de Mark Lawson (Arcade Fire, etc.) à la console. Ils ont su planter un décor nocturne qui convient parfaitement aux textes du cinéaste Stéphane Lafleur (Continental, un film sans fusil, En terrain connus, le montage de Monsieur Lazhar), toujours aussi étonnant avec sa poésie de bout de ficelle, ces images gossées à même un quotidien à la fois tendre et désarmant :

Ton corps trempé dans la paillette
Ma tête de boule miroir
T’es un gala à toi toute seule
Je garde le vestiaire
(Les oiseaux faussent aussi)

Nous ferons des concours de lumière
De blessures en ordre croissant
Tu voudras que je préfère
J’haïrai évidemment
Mais je veillerai le feu avec toi

Veiller le feu

Qu’il s’agisse d’Apprivoiser les avions, de Veiller le feu ou de La journée qui s’en vient est flambant neuve, les mots et les images nous traversent le corps pour nous laisser émerveillés, mais aussi curieusement apaisés, preuve que le groupe a su dépasser la simple enfilade de métaphores chocs au profit d’un univers somptueux, cohérent. Alors qu’on écoutait les précédents albums d’Avec pas d’casque à la recherche de la jolie phrase à épingler sur son frigo, Astronomie nous invite plutôt à nous étendre au sol, les yeux plantés au ciel. Jamais l’idée d’accorder des «étoiles» à un disque n’aura été plus appropriée.

Dickson

Ça sonne
comme le nom
d’un poète
d’un joueur de baseball
d’un musicien
d’un ami.

Et je m’étonne
qu’aujourd’hui
à Sudbury
rien ne porte
ton nom
sinon
le vent
tes amis
ton souvenir
et ton rire
qui résonne
encore plus fort
aujourd’hui.

Un pont, un parc
ou une école
c’est toute une nation
qui devrait porter
ton nom.

J’oublie
je n’oublie pas.

Et je croque la pomme
du printemps
que t’aimais tant
qui t’aimait tant
et qui t’attend
encore aujourd‘hui
ici.

À l’aube du printemps: Mes Aïeux

C’était en 2000. Un groupe osait tripoter l’ADN québécois à même son folklore. Quelques puristes ont fait la grimace tandis que les autres applaudissaient ce vent de fraîcheur inusité et hautement théâtral. 13 ans et 650 000 albums vendus plus tard – merci à Dégénérations, chanson valant à elle seule trois années de bac en sociologie -, plus personne ne doute de la pertinence de Mes Aïeux. Et ils sont de retour…

À l’aube du printemps, vous avez les deux pieds dans la neige brune et la boue quand, soudain, vous levez les yeux au ciel pour y apercevoir une volée d’outardes. Un ballet majestueux où les oiseaux se relaient sans orgueil en tête du peloton afin de maintenir le cap et le rythme. Une image forte qui aura guidé Stéphane Archambault et sa bande dans l’écriture de ce cinquième album résolument en phase avec son époque, où l’on attend encore des leaders inspirants.

Dès l’ouverture, on nous prend à bras-le-corps : Viens-t-en incite à la mobilisation, au mouvement. Crescendo délicat, on emboîte le pas et on aura bien besoin de cet élan pour piquer à travers les chansons suivantes comme autant de nuages dans l’horizon. Le gris domine et les questions essentielles abondent: «Quelqu’un sait-il où on s’en va ?», «À l’autre bout du pont, qu’est-ce qui m’attend ?» (En ligne), «Y a-t-il un sens à ta vie ?» (Des réponses à tes questions). Le principal intéressé ne trouvera pas, même après avoir interrogé père, mère, prof, psy et curé. Pas plus de réponses du côté de La Stakose, qui tire sur tout, espérant abattre un coupable qui se trouve peut-être de l’autre côté du fusil. Et on croit trouver un peu de répit avec La berceuse, mais on constate rapidement qu’elle ne sert qu’à nous endormir tandis qu’on pille nos ressources naturelles…

Que ce soit musicalement ou par les termes abordés, Mes Aïeux s’éloigne plus que jamais des racines traditionnelles qui les ont tant inspirés. Oui, l’increvable Yâb’ vient faire son tour (Histoire de peur) et on salue une bastringue moderne et séductrice (Je danse avec toi) mais l’essentiel est ailleurs. On a affaire à un disque profondément ancré dans son époque. Si le résultat est parfois lourd dans le propos, l’humour sauve la mise encore une fois. Et il y a de beaux moments plus légers (Je danse avec toi, Au gré du vent) qui permettent de garder le cap et d’arriver à bon port (Bye bye). On termine le voyage émerveillé par la résilience légendaire des Oies sauvages (la chanson la plus réussie du disque) autant que par ce groupe qui a su demeurer unis, persuadés de la force du nombre sur l’individualisme ambiant et surtout, convaincus que «malgré les défaites, on a encore nos ailes»…

Date de sortie: 12 mars 2012


Pochette: Marianne Chevalier